(LCP) L'Assemblée nationale a rendu un émouvant hommage et observé une minute de silence en mémoire des dizaines de milliers de victimes du séisme puissant et meurtrier qui a détruit une partie d'Haïti le 12 janvier 2010. La députée Dominique Anglade peinait à retenir ses larmes lorsqu'elle a prononcé son discours, sans se référer à ses notes. Cette allocution en a ébranlé plus d'un au Salon bleu.

 

« Il y a 10 ans, il était 16 h 53, j'étais dans un restaurant, et on reçoit un appel qui dit : il y a eu un séisme en Haïti. Et la personne qui est avec moi me pose la question suivante, elle me dit : est-ce que tu as des gens, de la famille en Haïti? J'ai dit : mes parents sont de passage là-bas. Bien, je me dis : un séisme... Vous savez, il y en a eu des séismes dans l'histoire. Donc, je ne n'en fais pas trop cas.

 

Et plus la journée se termine, plus la soirée avance, plus on commence à regarder les reportages et on se rend compte de ce qui est en train de se produire sur le terrain. On se rend compte de la tragédie et on cherche à avoir des nouvelles, on cherche à avoir de l'information qu'on n'obtient pas. Il n'y a aucune communication. On va sur Facebook, on va partout, il n'y a aucune communication.

 

Les 24 heures qui ont suivi ont été des 24 heures d'angoisse, de peine à essayer de comprendre ce qui se passait, à essayer d'avoir de l'information. Jusqu'à cet appel, 24 heures plus tard, à 16 heures, je suis assise quand je reçois un appel de ma soeur, et ma soeur me dit... en fait, elle est incapable de me dire qui est décédé, elle est seulement capable de me dire qui est vivant. Elle me dit, untel a survécu, untel a survécu. Et je dis : papa et maman? C'est à ce moment-là que je comprends que j'ai perdu, d'un coup, mon père, ma mère, mon oncle et mon cousin.

 

C'est mon histoire, mais c'est l'histoire de centaines de milliers de personnes cette journée-là. Et, quand je suis assise, je me dis : Je ne sais pas comment je vais trouver la force pour me relever. Je décide de parler à ma tante qui vient de perdre son fils, et ma tante me dit : Dominique, nos morts sont morts, il va falloir qu'on les enterre. Par contre, on peut faire encore beaucoup pour les vivants. Et c'est là que je prends tout le courage et la force de dire qu'on n'a pas le droit de se laisser abattre, qu'il faut vivre nos peines, qu'on est capables d'aller plus loin et de se tenir debout pour ceux qui en ont encore besoin.

 

Des semaines et des mois plus tard, j'ai retrouvé une lettre que mon père avait écrite à ma mère l'année de ma naissance. Et, dans cette lettre, mon père écrivait la chose suivante, à la fin de la lettre, il disait : «Allons bâtir des quotidiens qui ressemblent à nos rêves.» C'est ce qu'il disait à ma mère. Après avoir fait de la prison politique en Haïti, après avoir... s'être établi au Québec en exil, il disait à ma mère : «Allons bâtir des quotidiens qui ressemblent à nos rêves.»

 

Alors, malgré la douleur, malgré la peine, malgré la souffrance, il reste encore, il reste encore cette volonté de bâtir des quotidiens qui ressemblent à nos rêves. Alors, aujourd'hui, je demande qu'on rende hommage à des centaines de milliers de voix qui se sont tues pendant les quelques secondes d'une secousse, il y a 10 ans, en Haïti. Merci. »

(Extrait du Journal des débats du jeudi 5 décembre 2019)

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